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Le blog de LeClochard
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13 juin 2007

Beautés naturelles

  Une mauvaise habitude: je suis si curieux qu'il m'arrive de commencer un livre sans avoir fini le précédent. J'ai conscience que je devrais me discipliner. Je n'ai pas fini les Salons de Diderot que j'ai pris avec moi pour voyager Un Balcon en forêt de Garcq. J'avais l'idée qu'il me fallait le lire librement. Je me disais que je serai de toute façon obligé de recommencer.  Que j'allais peut-être mieux le découvrir. Qu'il allait devenir plus familier.

Je commençais sa lecture négligemment. C'est un type qui prend le train pour sa caserne. Il traverse la campagne. Il arrive à sa caserne on lui donne je ne-sais-quoi et il finit par rejoindre sa chambre. On lui parle et il ne comprend guère de choses.  Il n'est pas sot. Il lui vient des idées mais aucun dialogue. Je ne trouvais rien de ce qui aurait satisfait mon humeur. Ce qui restait, c'était cette impression de blanc qui allait de la couverture aux pages et qui s'était retrouvé dans ce brouillard soudain levé avant que je descende du train. Cependant, je pensais: "Pourrais-je, comme lui, décrire ce trajet en train?" -c'était si soigné-. Je la laissais en suspens.

A midi, je repartais. Je traversais Verneuil, et d'autres petites villes calmes quand j'y repensais. C'étaient des maisons bourgeoises du début du siècle dernier. Chacune avait son grand saule et sa vue sur la Seine.  Elles me rappelaient Gracq. C'était le genre de lieux qu'il aimerait. Tout semblait  si calme.

Je reprenais les mêmes pages: "Depuis que son train avait passé les faubourgs et les fumées de Charleville, il semblait à l'aspirant Grange que la laideur du monde se dissipait..." Bien sûr, c'était pas tout à fait ça. Chez lui, c'était la nature pure qu'il cherchait à retrouver. Les maisons simples, c'était déjà trop. "il s'aperçut qu'il n'y avait bientôt plus une seule maison." Mais tout de même. Que cet écrivain est loin du monde moderne, me disais-je. Ce n'est pas un classique, c'est un ancien. J'ai eu beau relire ces pages: pas une marque d'ironie. C'était la beauté de la nature qu'il cherchait à faire passer auprès du lecteur comme une évidente référence.  Dès que le héros arrivait près d'habitations, c'était de nouveau un univers repoussant: "les ronces de la guerre, son odeur de terre écorchée, son abandon de terrain vague, déshonoraient déjà ce canton intact de la Gaule chevelue."

Arrivé à la gare Saint Lazare, j'ai revu les entre-croisements de rails bruns et lumineux, les bâtiments au loin à l'abandon, les lignes de cathéters qui se croisent librement, les herbes folles qui poussent en touffes vertes dans le ballaste, les fougères qui conquièrent  les grandes murailles noires. Voilà, cela me plaisait. J'avais compris.

  L'idéal de Gracq ne me allait pas. Il cherchait à me rendre sensible une nature rassurante et éternelle. Et je trouve que c'est ce qu'il y a de plus attendu, de moins riche. J'ai l'impression que c'est celle que l'on désire et qui n'existe guère qu'il veut nous donner. Bien sûr  à vélo ou en promenade j'adore découvrir une campagne verdoyante et sans habitation; j'apprécie d'imaginer que je me trouve sur une plage comme le premier homme; mais je préfèrerais dans un livre trouver quelque chose de provoquant. J'aime ce qui est marginal, les lieux abandonnés, les usines délabrées, les voitures en morceaux, les maisons minables aux volets barricadés,  les choses qui se décomposent  dans l'humidité.  Si jamais on me parlait de nature, je l'aimerais exubérante comme du lierre ou une vigne sauvage, sombre comme le fond d'un puits, hostile comme les eaux croupissantes d'un marais, sombre comme une forêt de conifères, sèche comme les foins moissonnés prêts à s'enflammer, inquiétante comme un lac glacé de montagne. S'il y avait du vent, je voudrais qu'il soit asséchant ou qu'il use.

  De plus en plus je ne crois pas qu'il décrive la nature telle qu'elle est. Il l'a transformée pour en faire une sorte de refuge contre le monde des hommes. Je reprendrai sa lecture demain. Peut-être que mon intuition sera contredite par les prochaines pages. J'aimerais tant y trouver autre chose.

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